Code alphabétique ou Lecture syllabique ? Une réflexion basée sur la comparaison des systèmes d'écritures.
Daniel Zagar  1@  
1 : EA 4432  (Interpsy)  -  Site web
Université de Lorraine, Universit Lorraine
Université de Lorraine Campus Lettres et Sciences Humaines BP 13397 54015 Nancy Cedex -  France

Certains auteurs (Gleitman & Rozin, 1977) ont suggéré d'utiliser la syllabe pour débuter l'apprentissage de la lecture. Ils ont montré que les enfants acquerraient facilement les associations syllabes écrites / syllabes parlées. Cependant il a souvent été avancé que ce type d'apprentissage ne permet pas aux jeunes lecteurs d'assimiler le code alphabétique. Des données issues de nos propres expérimentations et la réinterprétation des études sur l'acquisition de la lecture en coréen conduisent à réfuter cette croyance.

En premier lieu nous passerons en revue des données qui soulignent le rôle central de la syllabe lors de l'acquisition de la lecture. On montre ainsi que les pré-lecteurs mémorisent très facilement les associations entre écrit et parole au niveau de la syllabe. Ces associations perdurent lors de l'apprentissage de la lecture et jusque chez le lecteur expert. Tout se passe comme si des connexions privilégiées et stables s'établissaient entre les représentations écrites et orales par l'intermédiaire des unités linguistiques monosyllabiques. L'hypothèse du « pont syllabique » (Doignon & Zagar, 2009 ; 2013) exprime en partie cette idée et stipule que la syllabe est l'unité optimale par laquelle se créent les connexions entre unités orthographiques et unités phonologiques.

Ensuite, et contrairement à une idée communément admise, le faisceau de connexions syllabiques pourrait servir de terreau à l'acquisition du code alphabétique. Selon cette hypothèse (nommée hypothèse de la « discrimination phonémique par la syllabe », Bosse & Zagar, 2016 ; Doignon & Zagar, 2009), la capacité d'associer les lettres aux phonèmes s'enclencherait à partir des connexions syllabiques préalablement acquises. L'appui de l'écrit dans l'habileté des manipulations segmentales n'est pas une idée nouvelle et il existe probablement une relation réciproque entre conscience phonémique et apprentissage de la lecture (Castle et Coltheart, 2004).

Enfin, de récentes études en coréen confirment l'interdépendance entre habiletés de manipulation segmentale et apprentissage de la lecture. Le Hangul coréen est une écriture alphabétique non linéaire : les lettres sont disposées sous forme de ‘blocs syllabiques'. Cette disposition particulière favorise naturellement l'apprentissage de la lecture par unités syllabiques. Les études sur l'apprentissage de la lecture en coréen (Cho, 2009 ; Cho et al., 2008 ; Cho &McBride-Chang, 2005 ; Kim, 2007) indiquent que les jeunes coréens savent lire très tôt et ce avant de maitriser le code alphabétique. Selon nous, ces observations viennent à l'appui de l'hypothèse de la « discrimination phonémique par la syllabe ».

En conclusion nous discuterons de la façon dont la syllabe pourrait être utilisée dans l'enseignement de la lecture du français et nous présenterons des propositions pour une nouvelle conception théorique de l'apprentissage de la lecture.


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