La croissance rapide de la population autochtone au Québec génère une pression sur l'éducation dans ce milieu. Même si la scolarisation des Autochtones s'est améliorée depuis le programme d'amérindianisation qui, dans les années 1970, a permis à cette population de se réapproprier son éducation, la situation est encore loin d'avoir atteint le niveau attendu dans une société lettrée : le nombre de personnes chez les Autochtones n'ayant aucun certificat ou diplôme s'élève encore à 46,3 % contre 24,8 % chez les non-Autochtones (MELS, 2009). Au nombre des obstacles entravant la réussite et la persévérance scolaires des Premières Nations figurent les problèmes liés à l'enseignement de l'écrit. C'est pourquoi, depuis le printemps 2016, nous menons une recherche-action (RA) visant, entre autres, à soutenir le développement professionnel d'enseignantes d'une école primaire autochtone dans le but d'améliorer les pratiques d'enseignement et d'évaluation de la lecture et de l'écriture.
Des recherches sur les approches didactiques de la littérature à l'école montrent l'importance de travailler en intégration, à partir d'œuvres littéraires pour la jeunesse, les différents volets du français que sont la lecture, l'écriture et l'oral (Morin, Parent et Montésinos-Gelet, 2006; Ragano et Pasa, 2006). C'est aussi ce que préconise le programme de formation actuel (MELS, 2006). Il s'agit d'amener les élèves à comprendre et à interpréter des œuvres littéraires ainsi qu'à y réagir et à les utiliser de manière personnelle, créatrice et critique afin d'éclairer des problèmes de la vie réelle (Hébert, 2006; Lépine, 2015). Pour développer cette compétence de lecture/appréciation des œuvres littéraires, deux pistes sont soutenues par la recherche : 1) la lecture extensive, c'est-à-dire offrir régulièrement et fréquemment des temps de lecture libre en classe pendant lesquels les élèves choisissent eux-mêmes les livres selon leur niveau et leurs intérêts personnels (IRA, 2014; Krashen, 2011); 2) la lecture intensive, c'est-à-dire enseigner explicitement des stratégies de lecture littéraire à partir d'œuvres minutieusement sélectionnées par les enseignants (Hébert, 2003). Idéalement, les enseignants devraient pouvoir donner un accès direct, dans un coin-littérature aménagé dans leur classe, à des centaines de livres de diverses formes et de différents genres (Allington, 2012), un coin-littérature qui permet à la fois de lire, d'écrire, de parler et d'écouter. Ces coins-littérature sont constitués de mobilier pour le rangement, mais aussi d'espace de travail et de matériel varié pour y lire, y écrire et y communiquer oralement.
La première phase de notre RA vise justement à équiper les classes de coins-littérature de façon à garantir la disponibilité du matériel indispensable au développement des compétences langagières des élèves. Sur le plan méthodologique, la RA est structurée autour de trois groupes de travail : un collectif élargi d'où émergent les besoins de formations (majoritairement des acteurs du milieu autochtone); un comité restreint qui opérationnalise les réponses aux besoins de formations (acteurs du milieu et chercheurs, en nombre réduit); l'équipe de recherche qui s'assure de produire les outils de collecte des données et de les analyser. Du personnel de l'école (enseignantes, conseillère pédagogique) est présent dans tous les groupes et toutes les décisions se prennent en collaboration avec les acteurs du milieu de pratique.
Dans cette communication, nous présenterons les premiers résultats de la RA, soit les retombées de l'installation des coins-littérature dans les classes et des formations offertes aux enseignantes en 2016-2017. Nous documenterons ces effets à travers les données collectées sous forme de photos, vidéos, fiches d'évaluation des formations, observations en classe, entrevues avec les enseignantes, comptes rendus de rencontres. Les résultats préliminaires montrent déjà un désir de participation active des enseignantes du primaire de l'école retenue pour les formations, pour la sélection d'œuvres littéraires et pour l'aménagement de leur classe en espace littéraire.